Il est regrettable que le spectacle « BOURLINGUER », mis en scène par Darius Peyamiras, extrait du roman-poème autobiographique de Blaise Cendrars et brillamment interprété par Jean-Quentin Châtelain ait vu à sa dernière (et vingtième) représentation au Théâtre du Grand Parquet [35 rue d’Aubervilliers à Paris 18ème] le dimanche 31 mai 2015. Ce fut et restera un grand moment de théâtre.
Dans un monologue extrait d’un des quinze textes de Bourlinguer, intitulé Gênes, l’acteur se tient pieds nus dans les ténèbres et, par son phrasé singulier, emporte le spectateur dans un récit émouvant, tantôt tragique, tantôt drôle. Il s’agit de l’histoire de Cendrars qui retourne au jardin de son enfance à Naples. Il pousse la porte d’un enclos, le seul endroit ayant échappé aux promoteurs qui ont défiguré la colline de Voméro qui surplombe la baie de Naples. Tel le personnage de Kim du roman éponyme de Kipling, il s’enterre pour retrouver ses racines dans ce « clos Virgilii », jardin du tombeau de Virgile, où rôde l’ombre d’Elena, la fillette tant aimée avec laquelle il traquait les oiseaux ou ramassait des escargots pour les dresser et les collectionner ! Raconté avec un enthousiasme communicatif, cet épisode est particulièrement comique. Ce passage tranche avec l’évocation de diverses tragédies telles que les bombardements atomiques sur Hiroshima ou la mort d’Elena provoquée par un tir malencontreux de chasseur. Ce retour au jardin de l’enfance revêt un aspect universel, le clos Virgilii représentant en quelque sorte le jardin d’Eden. Le narrateur est un homme blessé, qui pourrait guérir par le verbe, mais ne prononce-t-il pas ces propos : «Ecrire, c’est peut-être abdiquer » ?
Le corps de l’acteur est un bloc colossal, ses pieds restent ancrés dans le sol et n’en bougent pas pendant une heure vingt. Sa diction, au débit particulier, évoque une transe hypnotique, tant il scande les mots en apportant ainsi à la prose poétique de l’auteur une densité saisissante. Il met en relief l’écriture inventive et musicale de Cendrars. La puissance et l’intensité du jeu de l’acteur captivent les spectateurs qui sortent de la salle éblouis par un si grand talent.
Notre avis :
Notre fascination pour le jeu de cet acteur suisse, qui a déjà enflammé les scènes francophones dans une cinquantaine de spectacles, dont Gros-Câlin de Romain Gary au Théâtre de l’œuvre à Paris, nous incite à attendre impatiemment la prochaine occasion de le revoir…
Vous pourrez voir ce spectacle le 13 mai 2016 au théâtre de Chelles (77).